UN COUP DE BLUFF

Ba-Binh1

Le 16 octobre 1947, nous apprenions qu’un V.M (Viet Minh) armé venait régulièrement au marché de THUY TU XA. Ce village, situé assez loin de la R.C 1, s’était rallié timidement à notre cause, mais les Viet Minh cachés dans les forêts voisines y faisaient de fréquentes apparitions.

Le 17 octobre à 14 heures, sous une petite pluie, une patrouille, commandée par l’aspirant LOUIS, part pour THUY TU XA. Les hommes, français et annamites, sont tous déguisés en « gnah-koué », ils marchent par petits groupes de deux ou trois. Lorsqu’ils abordent la première arête à l’Est de la R.C.1, l'un de nos groupes tire des rafales de F.M par-dessus leurs têtes. Les « faux gnah-koué »se couchent puis progressent par bonds pendant tout le tir. Les guetteurs V.M. les laissent passer sans donner l’alarme.

Le premier groupe de trois hommes arrive au village. Ce sont deux tirailleurs, dont un ex-officier V.M rallié et le soldat Jean Besson, métis annamite. Besson aborde un homme et le salue de son poing levé. L’autre répond de même. Besson raconte son histoire « Je suis capitaine de l’armée régulière, je viens de VINH et j’ai besoin de voir les V.M du village » ; l’autre le conduit auprès d’un personnage à l’air évolué. On discute un peu « Mais vous ne craignez rien ? dit l’homme « Oui ils ont tiré sur nous, mais ne nous ont pas suivis » puis mange avant d’aller voir les membres du Comité Exécutif du Xa.

Les autres groupes sont arrivés dans le village et se sont installés dans les maisons autour du marché. Malheureusement, une pluie torrentielle tombe et le marché n’aura pas lieu.

L’un des groupes rencontre une jeune fille. Grand salut V.M, petite histoire, ça marche. La demoiselle se présente fièrement comme cantinière des Tu Vé. D’accord : à ne pas quitter des yeux, on discute, on apprend beaucoup de petites choses très intéressantes.

L’aspirant Louis et deux tirailleurs sont entrés, eux aussi, dans la paillotte. Une femme s’avance mais l’un des tirailleurs l’interpelle brutalement et lui dit de ne pas venir importuner le déserteur français, officier de l’armée du Viêt-Nam. La femme qui n’avait même pas remarqué l’aspirant, court chercher une de ces rations « K » des V.M., c’est-à-dire une boule de riz gluant roulée dans une feuille de bananier. D’autres indigènes arrivent et viennent saluer le Français V.M. L’aspirant répond par son poing levé.

Besson ayant terminé son repas, demande à son hôte de le conduire auprès du Comité, mais l’autre réclame un papier, car nul n’est reçu par le comité s’il n’est muni d’une lettre d’introduction. Ca ne marche plus ! Besson recherche ses papiers et sort un colt 45 de son imperméable en feuilles de latanier. Il l’applique sur le flanc du chef V.M. du village en lui conseillant de ne pas bouger, et fait rendre compte de la situation.

Il fait cesser la comédie. L’autre groupe est toujours avec la gentille cantinière. Il interrompt son aimable conversation et la jeune fille est toute surprise de se retrouver prisonnière de ces Tu-Vé si bien élevés.

On repart sans incident. Mais il n’y a plus rien à faire dans ce village car certains mouvements ne sont pas passés inaperçus.

Sur les pistes du retour les paysans passent sans prêter attention à ces petits groupes qui se hâtent sous la pluie ramenant au P-C de Ba-Binh deux prisonniers et de précieux renseignements.

Monsieur François Chauvin