LE CANON REVOLVER «HOTCHKISS» DE 37 mm MODELE 1879

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Si le XVIII° siècle fut celui de la Raison et des Lumières, le XIX° le fut de la révolution industrielle, des grandes découvertes scientifiques et de la naissance du système économique anglo- saxon. L’impact s’en ressent encore du reste de nos jours.

 

Ces bouleversements ne manquèrent pas d’influer sur les milieux militaires mais là, le tournant ne s’opéra véritablement que vers les années 1850 avec l’apparition de l’approvisionnement par la culasse et, il est vrai un peu plus tôt, du revolver dont la technique, très modernisée et adaptée à des munitions sans cesse améliorées, se perpétue encore de nos jours.

La « Marine », toujours (et ce depuis le XVIII° siècle) à l’avant garde des innovations, adoptait dès 1858 pour ses équipages un revolver à broche avec barillet de six coups. Dans le même temps l’Armée de Terre, indécrottable dans ses traditions, se contentait de réactualiser par rayure du canon un pistolet à un coup se chargeant par la bouche, le modèle 1822 T bis, dont la conception générale et les dispositions de la platine remontaient pour l’essentiel à la fin du XVII° siècle.

Une autre césure d’importance intervint lorsque la propulsion à voile des vaisseaux céda le pas à la mécanisation à vapeur. Au départ, le système par roues à aubes laissait encore une large part à l’énergie éolienne ce qui ne manquait pas d’influer indirectement sur les armements de bord. L’épisode fut en fait relativement bref et l’introduction de la propulsion linéaire par arbre de transmission actionnant une hélice révolutionna de fond en comble le monde maritime, d’autant que le phénomène était concomitant des premières constructions navales entièrement métalliques, ce qui impliquait une refondation des armements, autant collectifs qu’individuels, sur les nouveaux navires.

Là commence en quelque sorte la polémique du « boulet » en regard de la cuirasse.

Passons sur les énormes calibres des grands bâtiments et restons-en au niveau de l’armement de bord plus léger qui était amené à pallier la « mousqueterie » qui, du temps de la « marine en bois », assurait la protection rapprochée contre les agressions extérieures à courte portée, en particulier en cas d’abordage ou d’escale sur des rivages hostiles. Chaque matelot disposait alors d’un fusil ou d’un tromblon ainsi que souvent d’une paire de pistolets pour participer à la sécurité du bord en cas d’attaque de courte portée.

Or, dans cette configuration, le volume des équipages était assez conséquent. Avec la mécanisation il se réduisit notablement. En revanche, les impératifs de défense rapprochée restaient les mêmes, en particulier en milieu côtier hostile où des attaques menées depuis la terre ou la mer par des combattants résolus, voire fanatiques, pouvaient se révéler redoutables surtout en cas de surprise.

La solution était d’évidence dans l’augmentation de la puissance de feu par des moyens techniques. Or, depuis la guerre de Sécession aux Etats-Unis était né le concept de la mitrailleuse. Inventé par Benjamin Berkeley Hotchkiss (1826-1885), le système consistait en la mise en parallèle de plusieurs canons rotatifs montés sur un berceau central, actionnés à la main par une manivelle et dont l’approvisionnement latéral était assuré par chargeur rigide. Le tout était ajusté sur une fourche pivotante permettant un large débattement en hauteur et en direction monté sur un affût tracté ou, dans les fortifications, sur un support fixe le plus souvent de forme conique.

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La Marine adopta ce type de matériel dans les années suivant la guerre de 1870 ; Il faut préciser qu’à l’époque Hotchkiss avait déménagé en France compte tenu du peu d’intérêt témoigné par le gouvernement américain pour le développement d’armements nouveaux. Quatre modèles furent alors développés en Europe. Les calibres allaient de 37 à 57 millimètres, ce dernier étant plus particulièrement voué à la défense mer/terre. Par contre, le plus petit, partant le plus souple et le plus maniable, fut largement utilisé dans l’appui mer/terre, en particulier à l’occasion de l’expansion outre mer par la remontée des grands fleuves d’Asie et d’Afrique, tant qu’ils étaient navigables, à la fin du XIX° siècle et au début du XX°.

Or, jusqu’en 1900, les Troupes de Marine, sous cette même appellation, relevaient du Ministère de la Marine, et donc de la « Royale ». Ce ne fut qu’ensuite qu’elles passèrent sous l’administration du Ministère de la Guerre sous l’appellation de « Troupes Coloniales ».

En conséquence, jusqu’à ce terme, elles recevaient en dotation des matériels de la Marine qui, il est vrai, commençait elle aussi à subir l’uniformisation des armements alors que jusqu’au Second Empire elle avait encore une large latitude à passer ses propres marchés, de même que pour les troupes à terre qui lui étaient rattachées.

C’est donc à cette époque que le canon revolver Hotchkiss fut largement attribué aux Troupes de Marine, infanterie comme artillerie, qui étaient appelées à « tenir » le terrain reconnu ou conquis et, à partir de là, mener des reconnaissances profondes vers de nouveaux territoires.

Il semble que l’usage de l’arme à terre ait été limité à la défense fixe d’ouvrages retranchés, sa masse et la logistique qui s’y attachait excluant en effet a priori tout emport par des colonnes expéditionnaires à pied. En revanche, montée sur affût fixe à bord d’embarcations lourdes ou de canonnières côtières ou fluviales, elle se révélait d’une redoutable efficacité dans l’investigation des rivages, des estuaires et des grands fleuves d’Afrique ou d’Asie du sud est.

Par ailleurs, son fonctionnement relativement simple et son entretien aisé, alliés à une respectable puissance de feu à courte et moyenne portée, en faisaient un outil de combat particulièrement dissuasif lors des opérations amphibies et de débarquement en milieu a priori hostile.

Au plan technique, l’arme se composait de cinq canons rotatifs parallèles articulés autour d’un axe central ajusté sur un fort berceau de bronze. Les canons étaient actionnés manuellement à l’aide d’une manivelle. La cadence moyenne de tir s’élevait à 43 coups/minute pour une portée maximum pouvant atteindre deux kilomètres.

Les magasins d’alimentation étaient mobiles et avaient une capacité de dix coups pour un poids unitaire d’environ huit Kg.

Le système de mise de feu était assuré par un percuteur en L prenant appui sur une came en spirale et maintenu par un fort ressort hélicoïdal. Entre chaque canon une rampe en hélice permettait le chargement des munitions.

Ces dernières pouvaient être de deux types en fonction de l’adversaire du moment ou des objectifs à traiter : soit à obus explosifs, soit à tête « à mitraille » à l’instar d’une grosse cartouche de chasse.

La mise en oeuvre de la pièce nécessitait au moins deux servants. En premier lieu un tireur pointeur qui actionnait la manivelle et déclenchait le feu en faisant tourner les tubes tout en agissant sur le berceau en portée et en direction afin d’ajuster au mieux le tir, ensuite un pourvoyeur qui introduisait au fur et à mesure les magasins dans une glissière placée sur la gauche de l’arme. L’efficacité de l’opération exigeait, il va sans dire, une parfaite coordination entre les deux personnels.

L’affût fixe, en forme de cône métallique, supportait le berceau mobile sur lequel était fixée l’arme. Le débattement horizontal pouvait aller jusqu’à 360° en fonction de l’emplacement de la pièce et atteindre moins 8° en site.

L’arme seule pesait 350 Kg et l’affût 500. L’ensemble, en ordre d’utilisation avec ses munitions avoisinait donc la tonne, d’où l’impératif d’une localisation statique ou d’un moyen de transport adapté dont seule la voie amphibie permettait alors l’opportunité.

La puissance de feu pouvait être considérable. Le tableau ci-joint en fournit un aperçu pour les seuls obus explosifs dont l’efficacité létale à l’impact était de l’ordre de celle d’une grenade à fusil de 34 mm. Les obus à mitraille, pour leur part, avaient une portée efficace maximum comprise entre 150 et 200 mètres compte tenu de la dispersion des « biscayens » , ce qui était déjà redoutable face à un adversaire un tant soit peu regroupé ou à une foule hostile.

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La pièce dont il est ici question a été fabriquée en 1885 et porte le numéro de série 1051. Elle provient de la salle d’honneur du 43° BIMa en Côte d’Ivoire et cette origine laisse à penser qu’elle aurait pu jouer un rôle dans la pacification de cette région à la fin du XIX° siècle.

Quant à la durée de maintien en service, force est de constater que les canons revolver, dans leur conception ancienne, étaient devenus obsolètes , au moins sur les théâtres européens, dès le début du XX° siècle face à la concurrence des mitrailleuses légères à tir rapide dont la technique s’améliorera tout au long de la première guerre mondiale. Il n’en reste pas moins cependant qu’ils subsistèrent encore çà et là dans des ouvrages côtiers jusqu’en 1939/40 en métropole et sans doute encore bien au delà outre mer…

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Quoi qu’il en soit aucun ne semble avoir survécu au détour des années « 50».

Revanche en quelque sorte de l’histoire, le concept ressurgit à la fin du XX° siècle avec les canons rotatifs air sol reprenant la technique « Gatling », et en l’améliorant considérablement. Comme quoi avec du vieux on peut toujours faire du neuf ou, encore plus terre à terre, reprendre le vieux  proverbe français plein de bon sens « C’est dans les vieux pots que l’on fait la meilleure soupe ».

Lieutenant-colonel (cr) Jack PELISSIER

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